Une petite histoire de l'iconoclasme

Une petite histoire de l'iconoclasme

L'iconoclasme

 

1. Les débuts de l'histoire entre le christianisme et les images

 

Nous vivons au milieu des images. Comme si cela était une évidence.


La photographie marque un tournant dans les modes de représentation, leur accessibilité et leur facilité de reproduction : tout est image (logos, publicités, divertissements…); même la radio est filmée.


Le christianisme est vu comme une religion de l’image. “Les images sont la Bible des illétrés”, aurait dit Grégoire le Grand (540-604).

Cette fausse citation met en lumière l’importance de la présence des images dans les oeuvres religieuses chrétiennes.


Au début du christianisme, les images ne sont pas plébicités : reprenant la pensée juive de la non-représentation pour empêcher l’idolâtrie, les premiers chrétiens utilisent des symboles tels que la croix ou le poisson.


Grafitti paléochrétiens des Catacombes de Rome

Dès 313 et l’Edit de Milan promulgué par Constantin qui “dépénalise” la religion chrétienne, le culte se développe dans tout l’empire.

Ce sont donc des romains; avec leur culture spéficique et leur rapport aux images, qui vont se convertir et diffuser le christiannisme.

 

Le bon pasteur - sarcophage paléochrétien

La civilisation greco-romaine est friande d’images et particulièrement des représentations idéalisées des dieux et de leurs épisodes. Naturellement, le christiannisme s’insère dans cette tradition.

La division de l’empire Romain en deux, celui d’Orient et d’Occident, en 395 marque une rupture politique qui aboutira, quelques siècles plus tard sur une rupture religieuse avec le grand Schisme des églises d’orient et d’occident en l’an 1054.

 

Carte du Schisme d'orient


Là se développe deux conceptions dela religion, du culte et des images.
L’église d’orient est marquée par les icones, véritable portraits de la Vierge et du Christ, fait selon la Légende par Luc et… les anges ;-)


Image divine, elle a été l’objet d’amour et de rejet; jusqu’à sa destruction presque totale au VIIIème siècle.

 

2. La survivance juive des débuts du Christianisme. 


Depuis plusieurs siècles, un certain Jésus de Nazareth a été à l’origine d’une nouvelle religion : le christianisme.

Tout d’abord persécuté, les premiers chrétiens ne représentent pas leur religion avec des images figurées, suivant les interdits de l’Ancien Testament. Sur le Mont-Sinaï, Moïse reçoit comme commandement :

"Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre."

La sentence est claire : toute représentation du vivant est interdite. Dieu lui-même ne se présente sous aucune forme mais par la parole, le verbe.

Les premiers chrétiens suivent ce commandemement : ils développent une série d’éléments iconographiques symboliques qui coexistent avec les mythes greco-romains : d’une part, parce que ces éléments font partie des références culturelles de l’époque et d’autre part, pour passer “inaperçus” et tenter d’éviter les persécutions.

Prenons l’exemple du bon pasteur : aussi appelé Hermès Kriophoros, “porteur de bélier”, “[…] surnom donné, dit-on, parce qu’il détourna de la ville une maladie contagieuse, en portant un bélier autour des murs ; c’est pour cela que Calamis a fait la statue de Mercure portant un bélier sur ses épaules.” (Pausanias). Le pourquoi et le comment de cet acte propriatoire se sont perdus mais l’iconographie est restée :

Kouros Moscophore de l'Acropole, 470 av. J.-C. 

 Le bon Pasteur, mosaïque, Catacombes de Priscille, Rome, fin du IIIème siècle.

Le bon pasteur est également l’un des vocables par lequel Jésus est appelé par ses disciples.



Image 3 : Sarcophage chrétien, milieu du 3e siècle ap J.-C., Rome.

Déjà Yaveh est appelé “berger d’Israël” [Psaumes 80-1]. En toute logique, puisque le christianisme est dans la continuité du judaïsme -n’oublions pas la plupart de ses disciples sont juifs-, cette image est reprise par la nouvelle religion.

Les catacombes sont les lieux privilégiés des premiers chrétiens : cachées, elles permettent aux premiers fidèles de pratiquer leur culte en secret. Ils développent un ensemble de signes, reconnaisables et discrets : le poisson, l'olivier, le pain, les rameaux, la vigne, la colombe et le bateau. Chacun d’eux fait référence à des épisodes particuliers de la vie du Christ.

Graffiti des catacombes de Rome.

Après les très rudes persécutions menées par l’Empereur Dioclétien contre les chrétiens, l’empereur Constantin, fils de la chrétienne Hélène, promeut en 313 l’Edit de Milan qui “dépénalise” le christianisme permettant ainsi son développement.

C’est là que se développent les images de la chrétienté...

 

3. L'influence greco-romaine dans la construction de l'image chrétienne.

L’art chrétien prend pour tuteur l’art antique greco-romain et permet de faire pousser de nouvelles formes.

On délimite les début de l’art chrétien ou paléochrétien entre le Ier et le VIème siècle.


Il s’épanouit d’abord dans le domaine du funéraire : le Sarcophage de Junius Bassus daté de 359 et acutellement au musée du Vatican en est l’un des exemples les plus riches. Réalisé en marbre, il contient sur sa face principale dix scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, agrémenté de trois autres saynètes sur les côtés.


Celles du haut représentent, de gauche à droite, la Ligature d'Isaac, l'arrestation de Pierre, le Christ en gloire, le Christ conduit à Ponce Pilate et Pilate se lavant les mains. Celles du bas représentent, de gauche à droite, Job dans le dénuement et pleuré par ses proches, le péché originel, l'entrée du Christ à Jérusalem, Daniel dans la fosse aux lions et l'arrestation de Paul.

Au fur et à mesure de l’expansion de la foi chrétienne et de son détachement d’avec le judaïsme, l’iconographie chrétienne s’épanouie et se développe sur le modèle des monuments publics tels que les basiliques, qui sont à l’origine les lieux publics de la vie romaine (tribunal, bourse, promenade).

On voit apparaître les premières images ou “eikon” du Christ et de son entourage. Elles prennent pour modèles les fameux portraits funéraires du Fayoum : ces portraits réalisés en Egypte entre le Ier et le IIIème siècle, sont exceptionnels de part leur technique et le réalisme des visages et des détails.

Les icônes, qui se développent dans la continuité de l’art romain, reprennent également l’iconographie impériale avec la figure du Christ Pantocrator (”maître de tout”).

 

Fresques au sommet de la coupole sud de l'ésonarthex de l'ancienne église Saint-Sauveur-in-Chora, à Istanbul, Vème siècle.

L’art chrétien est étroitement lié au contexte de son développement : l’art greco-romain, maître dans la représentation des images et des techniques (mosaïque, sculpture, peinture), donne le La de la représentation religieuse.
Au fur et à mesure que la religion s’organise, le sens des images et les conventions qui les soutiennent se définissent dans des conventions parfois rigides, liées à la Légende de saint Luc. 

4. L'art chrétien oriental : les origines légendaires

Si l’art chrétien occidental donne à l’image une fonction d’abord pédagogique, l’art chrétien oriental fait de l’icône une image sacrée : par sa beauté et sa lumière, elle permet au fidèle d’appercevoir un absolu, une vision de l’invisible.

Elle permet la rencontre entre le fidèle et le divin et devient ainsi l’expression d’une parole vivante, au même titre que les Ecritures saintes.

Bien que plusieurs légendes racontent leurs origines, leur point commun est qu’elles se définissent par le vocable d’“acheiropoïète”, qui vient du grec et signifie “non faite de main d’homme”.

La première icône du Christ fut envoyée par le Christ lui-même au roi Abgar V Oukhama, à Edesse. Le roi souffrait tant qu’il demanda au Christ de le guérir. Ce dernier ne pouvant se déplacer, un serviteur du roi devait réaliser son portrait mais il n'y parvint pas. Jésus lui-même alors prit un linge, l’appliqua sur son visage, y imprimant ses traits. On appela ce linge mandylion ou image d’Edesse. Lorsque le roi regarda la précieuse icône, il guérit. Du même type, on connaît le Suaire de Turin.

Le mandylion reçu par le roi Abgar. 

Suaire de Turin. 


Une autre histoire d’image acheiropoïète s’est transmise pas la tradition orale : Luc, tentant de peindre le portrait de la Vierge et de l’enfant Jésus, se trouve incapable de capturer leur essence divine. Pour l’aider, des anges descendent du ciel pour finir le portrait. L’”eikon” (”image”) est donc un véritable portrait, qui a pu capturer l’essence du divin.

Luc serait l’auteur de la Vierge Hodégétria, “qui montre la voie”. Marie, debout, tiens de son bras gauche l’enfant Jésus et de sa main droite le présente comme le chemin à suivre. Jésus bénit de sa main droite et tiens un rouleau de la main gauche : il est le porteur d’une nouvelle parole, d’un nouvel enseignement. Le geste de bénédiction reprend l’iconographie romaine du geste de prise de parole, issue des représentations impériales.

Vierge Hodégétria

Les différents gestes de prise de parole chez les orateurs romains.

Les icones de type Orantes (priante avec les bras tendus) sont déjà répandue dans les Catacombes romaines : seule ou avec le Christ, elle représente la puissance de l’Eglise, de la prière, et de Marie comme intercesseur entre le fidèle et Dieu.

Orante de l'abside de la Cathédrale Ste-Sophie à Kiev

Orante d'Iaroslavl vers 1218

Enfin, un autre type d’icônes se nomme “Eleousia”, que l’on peut traduire par “doux amour” ou “doux baiser”. Elle représente toujours la Vierge et le Christ, mais dans une posture moins hiératique, marquée par la tendresse entre la mère et l’enfant.

Icône Vladimir, musée Trétiakov de Moscou, XIIème


Le style hiératique et statique de ce type iconographique s’explique par la dimension mystique de l’oeuvre, considérée par les chrétiens comme un véritable portrait de la Vierge et du Christ. Les conventions de cet art sont forcément strictes : elles n’ont pas pour ambition d’être réalistes mais bien de témoigner de vertus théologales, dévoilant le mystère de l’incarnation…

5. La Nature du Christ, nature de l'icône : entre divin et humain

La représentation figurée dans le christiniansime n’est possible que grâce à l’incarnation de Dieu à travers Jésus Christ. On appelle cela l’hypostase : en effet, Jésus est consubstantiel au Père, c’est-à-dire qu’ils sont à la fois de la même substance (hypostasie) et de la même essence (ousia).

Dès le concile de Nicée (380), les débats théologiques sur la nature du Christ aboutissent sur l’idée que Jésus, comme Dieu le Père, est incréé - mais engendré par ce dernier - et existe de toute éternité.

La vraie question se pose sur le monde sensible : le fils est consubstantiel du père, donc il est licite de le représenter. L’incarnation autorise et exige la figuration du Christ, faite à partir du Père sans image. Ce que l’on figure n’est pas l’humain que l’on adore mais bien l’hypostase, “telle que la régule le symbole”.

En théorie.

En pratique, l’acculturation des chrétiens parmi les gentils dont ils sont eux-mêmes issus, et de leurs traditions d’adoration, aboutit à un gros craquage.

6. Les débuts de l'iconoclasme

Dès le VIIème siècle, une partie de la population byzantine pète complètement un câble : on gratte les icônes pour verser quelques miettes dans le vin de messe; certaines oeuvres deviennent même parrains et marraines d’enfants…

Enfin bref, rien ne va plus dans le culte.

L’icône est étroitement liée au culte des reliques : cette très ancienne croyance, le contact avec des personnages saints transmet ce caractère sacré aux objets mobiles paléochrétiens. On décore les reliquaires d’images pieuses et par glissement, ces images deviennent sacrées. De plus, le traditionnel culte de l’empereur à travers des images portatives favorise la vénération des icônes.

Auguste couronnée, Tête en marbre, Ancienne collection Campana, Musée du Louvre

Ceci dit, des oppositions très fermes aux images existent depuis les débuts du christianisme, se basant sur les interdits vétérotestamentaires.

L’influence de l’Islam (Hégire, 622), qui se développe aussi en opposition à des cultes animistes où l’image est très présente, prohibe toute représentation du vivant dans les lieux de cultes, excepté de formes végétales et géométriques.

Panneau de Stuc à décor de rinceaux à palmettes, vers 600 / 800 (VIIe siècle ; VIIIe siècle), Lieu de découverte : Bichapour, Département des Arts de l'Islam, Musée du Louvre

La première crise iconoclaste, entre 726 et 780, commence avec un épisode, surement légendaire de l’empereur Léon III qui aurait remplacé l’image du Chrit de la Chalkè (porte en bronze du palais de l’empereur) par une croix.

Eglise Sainte-Irène d'Istanboul

Que cet évènement soit vrai ou non, il marque un changement dans la manière d’aborder Dieu, grâce au changement de paradigme du symbole.

C’est ce même Léon III, qui promulgue le premier “édit iconoclaste”, qui condamne la vénération des icones. Le texte a malheureusement été perdu. L’ingérance de l’empereur dans le culte, contre l’avis du Patriarche de l’époque, est une démonstration de force du pouvoir royal.

6. L'iconoclasme : une politique religieuse et impériale

Léon III lutte contre la vénération des images. Mais c’est son fils Constantin V qui apporte un nouveau tournant à l’interdiction des images : il fait de l’iconoclasme la loi religieuse de l’Église et de l’Empire. Désormais, les images du Christ, de la Vierge et des saints ainsi que leur culte sont interdits.

Miniature du Psautier Chludov montrant Jean le Grammairien détruisant une image du Christ, IXème siècle, Moscou

C’est avec une grande violence que Constantin V s’oppose aux images et à ses défenseurs, très nombreux parmi le clergé : l’empereur organise des cérémonies d’humiliation publique à l’hippodrome, persécut les moines et va même faire exécuter le patriarche de Constantinople en 767.

Les images sont détruites, entre lutte contre l’idolatrie et emprise politique sur la religion. Aucune oeuvre chrétienne antérieure à cette période n’a été conservée. Les images les plus anciennes datent du VIème siècle grâce à la position du monastère Sainte-Catherine du Sinaï, relativement épargné par les heurts de la période.

Icone du Christ Pantocrator, VIème siècle

Malheureusement, aucun texte iconoclaste n’est conservé : les vainceurs écrivent l’histoire.

La théologie c’est bien mais ce qui se cache derrière cette crise c’est surtout la magouille habituelle : l’empereur veut s’accaparer les richesses de l’Eglise.

Mais la vieille aristocratie de Constantinople n’apprécie pas les empereurs iconoclastes et résiste en fondant des monastères sur leurs terres.

7. Irène l'Athénienne : une grande impératrice

Le retour iconodoule (ou iconophile) est du à la présence d’Irène l’Athénienne qui assure la régence entre 780 et 803. Elle s’associe aux iconodoules afin qu’ils appuient son pouvoir. Irène installe un nouveau patriarche à la tête de l’Eglise et un concil est organisé : Nicée II (787) réaffirme la tradition du culte des saints et des icônes.

Icône représentant le deuxième concile de Nicée (couvent de Novodievitchi),  976–1025

Dans une perspective christologique, c’est-à-dire que l’incarnation permet la représentation, Nicée II permet le développement d’une nouvelle piété appuyée par les images; a contrario, l’iconoclasme souhaite revenir à des temps anciens, où il n’y avait que l’écriture. En ce sens, l’iconodoulie se tourne vers le futur.

L’iconoclasme n’est cependant pas relégué aux oubliettes : de 813 à 843, une seconde crise des images traverse l’empire …

 

A suivre ...

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